Le Chatel de Buxières les Froncles

Récit de Mr Roger Voinchet
Instituteur et directeur de l’école Varbor à Buxières les Froncles de 1956 à 1987
En 1957, l’école Varbor de Buxières les Froncles (qui a fermé ses portes en juillet 2012),  fait l’objet d’importants travaux de rénovation et d’agrandissement. Les élèves issus du « baby-boom » pourront ainsi bénéficier de trois classes (une neuve et deux entièrement rénovées), d’un préau spacieux, de sanitaires bien équipés et d’une vaste cour de récréation qui semble se perdre dans les prés et vergers voisins.

Les registres d’appel des classes totalisent une centaine d’inscrits : depuis  les petits, admis à cinq ans jusqu’à « ceux de l’année du certificat » qui vont sur leurs quatorze ans

Tous se rendent à l’école à pied et rarement accompagnés. Le chemin diffère selon qu’ils habitent les cités des forges, le village ou « l’autre côté de l’eau ». Au fil des saisons, sous le soleil ou l’averse, dans la neige ou courbés par le vent, ils le connaissent bien leur « chemin des écoliers ». Et ils l’aiment car il leur procure le moyen de découvrir leur environnement familier : les rues, les maisons dont ils connaissent, aussi bien que le facteur, le nom des résidents. Les occasions de jouer jalonnent la piste. Très naturellement, on apprend à courir, scruter, grimper, porter, lancer. Cette liberté d’action qui s’affirme chaque jour ne tarde pas à dépasser la limite de l’école.
Les élèves les plus intrépides ont investi depuis longtemps les alentours du village, des lieux-dits aux confins du territoire communal. Loin de la surveillance des parents et des rondes du garde-champêtre, ces espaces d’aventures et de jeux exaltants n’ont pas de prix et se méritent.
Le  Châtel  (ou « Châté », appellation la plus usitée) est un lieu que privilégient ces « explorateurs » en culottes courtes car il offre tous les aspects d’un champ de bataille: points d’observation, levées de terre, fossés, cachettes. Ils savent aussi que ce terrain en friche est, selon la mémoire collective, le site d’un ancien château.
 
En classe, c’est au cours d’une leçon d’histoire que l’on parla pour la première fois du site. Le résumé, lu à haute voix par un élève, commençait ainsi :
-  Pour résister et combattre les peuples barbares qui envahissent le pays, les seigneurs féodaux font ériger des ouvrages de défense : les châteaux-forts.
Qui leva le doigt le premier, interrompant la lecture ?
- M’sieur, sur « Châté », il y a un château-fort qui a disparu !
Curieux d’entendre la suite, de nombreux élèves s’éveillèrent. Les langues se délièrent : chacun racontant sa version, ajoutant des détails. Afin de calmer le débat  et de faire la part des choses, il fut décidé à l’unanimité d’organiser une classe promenade afin de mieux connaître le lieu et, pourquoi pas, d’élucider certains mystères.
 
Par un bel après-midi ensoleillé, toute la classe de « Cours Fin d’Etudes » et « Cours Moyen » s’achemina en rang serré vers le « Châté » empruntant le Chemin de la Croix jusqu’au pont de chemin de fer puis grimpa le chemin pentu qui débouche sur le plateau. Sur la gauche du « chemin de la Châtelange » un grand espace, une friche, des broussailles, des buissons, quelques arbres aux formes tourmentées, des monticules pierreux, des fossés, des creux informes.
Ce n’est que cela le « Châté » ? Certains affichent une moue de déception.
Petit à petit, les écoliers réalisèrent que le relief insolite de cet endroit n’est que la trace restante d’un ancien camp ou d’un vieux château disparus. Grimpée sur le plus haut monticule, toute la classe découvre d’un seul regard la forme générale du site : la ceinture de fossés et les levées de terre reliant les butes où se dressaient sans doute des tours d’angle, la cour intérieure grêlée de trous.
De retour à l’école, les avis sont partagés. Il sera utile de  préciser les observations faites en les concrétisant.
Faire un plan afin d’éclairer la vision encore floue du sujet. Mais d’abord, faire un relevé plus précis, avec des mesures et des repères. Une autre visite s’imposait.
 
Pour la deuxième expédition, les élèves emportent du matériel : chaîne d’arpenteur, jalons, mètre ruban, quelques longueurs de ficelle, des outils, un sac, un bloc-notes.
Sur le terrain, les « géomètres » s’activent, mesurent, relèvent les dimensions, apprécient les hauteurs des monticules, les profondeurs des fossés.
Ces travaux pratiques sont plus ardus que prévu ; il faut remesurer, recalculer, gommer, corriger ! Enfin, les cotes nécessaires sont reportées sur un croquis sommaire.
Dans les prochains jours, en classe, avec l’aide de documents et de témoignages, un travail collectif permettra d’élaborer une monographie pour essayer d’apporter une lueur sur le lointain passé du « Châté » de Buxières les Froncles.
 
« Les Ruines Fortifiées du Châtel ». Ainsi se nomme le mémoire qui a été rédigé par les élèves grâce au duplicateur à alcool dont disposait l’école.
Le compte-rendu, condensé de plusieurs textes libres décrit la situation du site, ses dimensions principales et sa position stratégique particulière.
A partir de la documentation d’un historien local, les élèves imaginent ce que pouvait être l’aspect de cette forteresse, et d’en réaliser le dessin.
La suite de ce premier mémoire rapporte des renseignements obtenus par les « enquêteurs » : découverte de sarcophages mérovingiens, origine et importance du camp retranché, existence d’archives, témoignages de certaines personnes du village.
Enfin, pour terminer la monographie, deux plans furent dessinés : plan de situation et plan de reconstitution du camp fortifié.
 
Lors d’une autre année scolaire, le sujet du « Châté » de Buxières les Froncles qui semblait presque oublié redevint à nouveau un centre d’intérêt qui figura en bonne place dans le programme d’histoire des classes « C.M. » et « C.F.E. ».
Pour susciter un nouvel intérêt, il fut décidé de s’intéresser uniquement à la reconstitution du camp en réalisant une maquette.
De nouveaux documents furent consultés, en particulier la revue « Tout l’Univers » qui offrait des reproductions très évocatrices de camps retranchés antiques ou de grands oppidums.
La construction de la maquette transforma une partie de la salle de classe en un atelier bourdonnant comme une ruche : dessins, travail manuel sans oublier les calculs d’échelle, montages, collages, fixations, décoration…. L’ensemble des élèves participa activement à cette réalisation.
La maquette terminée avait belle allure ! On la photographia et elle constitua la pièce maîtresse, très admirée lors de la fête scolaire de fin d’année.
 

Issoire le 12 janvier 2013
Roger Voinchet

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